Parler du spectacle de Jeremy Ferrari est à peu près aussi périlleux que l’exercice mené par le monsieur lui-même, tant il touche avec férocité là ou cela fait mal..
D’ailleurs, d’entrée de jeu il prend le sujet le plus brûlant à bras le corps, comme pour nous exorciser de de cette angoisse permanente qui pèse comme une chape de plomb au -dessus de nos têtes. Le Bataclan, Charlie, les Frères Kouachi, avec Jérémy on en rit pour ne plus en pleurer. Pour combattre la peur. C’est libérateur.
Pendant 1h45, il n’aura de cesse de s’attaquer avec une énergie impressionnante et un cynisme acéré aux sujets sensibles. Politique intérieure ou internationale, attentats, terrorisme, le conflit israelo-palestinien et ses origines, le 11 septembre, la guerre du Golfe, Orlando … Entre tous ces sujets, il établit subtilement un lien implicite troublant qui est le fil directeur de son spectacle et met les choses en perspective avec une intelligence rare.
« Même Hollande qui a envoyé deux cerfs-volants en Syrie, il est remonté [dans les sondages]. En même temps, il ne pouvait plus descendre. »
Jérémy Ferrari, Vends deux pièces à Beyrouth.
L’ironie mordante, la verve vive, l’esprit aiguisé, il cingle sans relâche avec cet humour noir qui fait sa marque de fabrique, nous poussant à travers le rire dans notre zone d’inconfort.
» A ce moment-là de l’Histoire, les Juifs et les Arabes ils commencent un peu à avoir les boules vanille qui crient pistache. »
Jérémy Ferrari, Vends deux pièces à Beyrouth.
La question n’est pas de savoir si il a raison de dire ce qu’il dit ou de le faire de la façon dont il le fait.
La question est de savoir si au fond de nous, nous ne savions pas déjà tout ça sans vouloir le voir.
Sur scène, Jérémy Ferrari est tout simplement un maître. Il alterne des adresses directes au public qui laissent parfois libre cours à son improvisation avec des sketchs mis en scène où le public redevient simple spectateur.
Des salves de répliques trépidantes, fusant comme des balles avec des moments de calme où l’échange s’installe. L’émotion aussi parfois. Il y a chez Jérémy des pauses bien plus assassines que certaines répliques. Des silences qui viennent souligner l’absurdité, l’ironie ou la cruauté de certaines situations
Vends deux pièces à Beyrouth est un spectacle hilarant, incisif mais qui ne peut laisser indifférent. C’est un écho troublant du monde dans lequel nous vivons. Dans le rire, la lucidité de ses réflexions fait mouche. On se sent libéré d’entendre dire tout haut ce que l’on pressentait tout bas. Les zygomatiques fourbus, on se questionne, comme si soudain l’humour nous avait permis de nous déciller. Et cela fait un bien fou.
Qu’on soit en accord ou non avec le style, Jérémy Ferrari est un artiste brillant et droit dans ses bottes. Ce qu’il dit ne tient pas de la provocation ou du coup de gueule marketing. Ce qu’il dit, il l’assume, il le revendique. Et sous l’humour, il y a le travail de recherche, l’envie de comprendre, le souci d’honnêteté, une forme de lucidité aussi. Certains me diront que la conclusion est facile et c’est leur droit. Mais je leur répondrais que le monsieur a au moins l’intelligence et l’humilité de se questionner, de se renseigner, d’écouter… même ceux avec qui il n’est pas d’accord. Il n’a pas la science infuse ou la parole divine ? Il le dit. Il revendique le droit de se tromper. Mais ce ce qu’il dit ou qu’il dénonce avec humour, il peut au moins l’appuyer, l’étayer.
Personnellement ce sera bien la première fois qu’un humoriste m’aura fait autant rire d’un bout à l’autre mais m’aura fait terminer le spectacle avec les larmes aux yeux. Comme le dit si bien Athénaïs, Jérémy Ferrari est doué pour nous faire rire des choses moches, de cette façon il les désacralise, il leur enlève le pouvoir qu’elles ont sur nous.
A rire ainsi du marasme actuel, à entendre ce que souvent on ne veut pas dire, je me suis sentie délivrée d’un poids. Un poids au fond de moi que je n’avais pas posé depuis le 13 novembre. Ou peut-être même depuis Charlie.
J’ai eu le temps d’attraper un souvenir de cette soirée…
Mais pas de lui dire merci pour ça. A lui qui paraissait exsangue d’avoir tout donné sur scène. Alors voilà, c’est chose faite : merci monsieur Ferrari. Surtout ne changez rien.
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