L’article Fan 2.0. Zone dangereuse, paru dans le dernier Studio CinéLive, n’a cessé de me tracasser et m’interroger. Souvenez-vous, dans la P’tite revue de presse, je vous résumais l’article ainsi:
« Une enquête qui pose la question brûlante des interactions entre les fans et les créateurs ou réalisateurs via les réseaux sociaux.
Todd Martens du Los Angeles Times est allé à la rencontre des réalisateurs, auteurs et scénaristes pour discuter du sujet avec eux et celui qui ouvre le bal est Joss Whedon, justement retiré des réseaux sociaux, après de violentes prises à partie.
Le ton est un peu dramatique, mais il ne faut pas oublier que ce type de comportements (insultes, menaces de mort) reste quand même le fait d’une minorité. Cependant, l’enquête soulève de façon pertinente la question de la violence des faits. Comme le dit Neil Gaiman, la plupart du temps c’est formidable car ces interactions sont une forme privilégiée de communication qui permet à des séries de perdurer. Mais voilà parfois les choses dérapent, certains fans tombent dans l’hyper possessivité, estimant le créateur redevable de leur présence, de leur soutien, formulant leurs exigences de façon virulente. On oublie donc, ainsi que le souligne Joss Whedon, qu’il appartient au créateur face à des suggestions de dire « C’est bien mais je vais raconter l’histoire à ma manière ». Après tout, d’accord ou non, cela reste leur travail.
Outre le fait que ce type de comportement peut devenir invivable pour des acteurs, des réalisateurs, des auteurs ou des scénaristes, c’est aussi insultant pour les fans plus respectueux qui se voient mis de facto dans le même panier. Finalement c’est celui qui gueule le plus fort et le plus impoliment qui se fait entendre et à mauvais escient. Comme l’analyse Chris Hardwick du site Nerdist, nous sommes intoxiqués par la culture du scandale immédiat et c’est bien ce qui pousse les gens à adopter de tels comportements. Pousser à coups d’insultes et de menaces un réalisateur à se retirer des réseaux sociaux leur apparaît comme une preuve de pouvoir, une justification de leur action. S’il est parti, c’est qu’il ne supporte pas la critique ou qu’on ait raison, doivent-ils se dire.
Si sans la liberté de blâmer, il n’y a point d’éloges flatteurs, il faut malgré tout se rappeler que la critique est aisée mais l’art est difficile. »
Face à ce constat, j’ai eu envie d’aller plus loin dans cette thématique et me demander quels liens entretiennent exactement le fandom et les réseaux sociaux. Qu’est-ce que cette forme d’hyper-communication a changé pour les fandoms mais aussi pour les créateurs, en bien ou en mal ?
Vous me suivez ?
Fandom 2.0
Je reprends la dénomination utilisée par l’article car je la trouve intéressante. Fandom 2.0. Cela induit implicitement une évolution du comportement des fans liée à au développement des réseaux sociaux.
Mais concrètement, qu’est-ce-que cela a changé ?
Reconnaissance et émulation.
Avec l’explosion d’Internet, les fans ont enfin pu se retrouver en URL pour échanger en dehors des événements. Échanger, partager, trouver une communauté, trouver des gens à qui parler, sans risquer d’écoper d’un regard perplexe. Internet rapproche les fans et c’est là que naît réellement la notion de fandom, dans les années 2000.
Mais qu’est-qu’on entend exactement par fandom ? Du fan, je tentais déjà de vous donner une définition équilibrée dans un article précédent, cependant, on ne peut juste résumer le fandom à un groupe de fans.
Si j’essaye de faire la synthèse des différentes définitions, je dirais qu’un fandom (terme anglo-saxon) est un groupe de personnes reliées entre elles par un fort intérêt commun pour un objet culturel et partageant une culture et un ensemble de références autour de cet objet.
En français, on utilisera le terme de Fanbase auquel on attribue néanmoins une signification plus générale, moins spécialisée. Le fandom induisant une connotation de culture spécialisée, ce qui lui vaut parfois un aspect péjoratif. Certains y verront quelque chose de sectaire, une forme d’adoration de groupe sans bornes, néanmoins certains chercheurs commencent à y voir un phénomène plus positif, car le fandom cultive une forme d’expertise de son domaine, un souci du détail qui vise à la construction d’une forme de culture autour de l’objet visé. Le fandom inciterait donc à développer ses connaissances, du moins lorsqu’il s’agit d’un objet culturel et non d’une personne privée.
En quoi alors Internet a-t-il contribué à la naissance des fandoms, tels que nous les connaissons et à leur développement. Tout d’abord, justement parce-qu’il a ouvert la porte à cette connaissance, de façon illimitée. C’est une source sans fin d’informations qui circulent et se renouvellent rapidement, toujours à la pointe de l’actualité. Quand le Net lui-même ne fabrique pas l’actualité. Et puis, tout simplement parce-qu’il a offert aux fans la possibilité d’être connectés entre eux, quels que soient leur langue, leur culture ou leur pays. Internet a fait exploser ce potentiel du fandom à être une incitation à la découverte, à l’ouverture d’esprit. Et c’est là un des grands aspects positifs de la chose.
Contrairement à l’image que le grand public a pu avoir du fan, ou du geek d’ailleurs, les deux étant souvent associés, seul, en transe devant l’objet de son adoration, le fandom est, en réalité, un excellent vecteur social. Le simple fait d’aller dans des événements, est un stimulant pour aller vers d’autres personnes et partager ces instants avec eux. La communauté fait l’instant dans le fandom. Internet, et par la suite les réseaux sociaux, ont contribué à accentuer ce phénomène. C’est désormais une interconnexion mondiale qui unit les fans de tous horizons. Sur Twitter par exemple, vous pouvez en quelques minutes à peine échanger avec des fans du monde entier qui partagent votre centre d’intérêt, des personnes que vous pourrez retrouver par la suite dans des conventions , des projections, des concerts, des festivals et autres événements divers.
Pour en avoir fait l’expérience, cela a un aspect assez magique. Les réseaux sociaux permettent de prendre le pouls de votre fandom. Quand un événement se prépare, le fandom palpite sur la Toile, comme un coeur qui bat. Les moments importants sont partagés en live. Où qu’on se trouve sur la planète, à un instant, on fait tous partie d’une seule et même communauté qui vibre à l’unisson. C’est singulier, fascinant et un peu effrayant.
Est-ce-que cela contribue pour autant à un isolement au quotidien ?
Tout dépend si vous êtes au départ sain d’esprit ou non, je vous dirais. On le sait et j’ai déjà fait la distinction dans mon article sur le fan, il existe des fans extrêmes pour qui d’un sujet, d’un objet, la chose se réduit vite à une personne, pour rapidement tourner à une forme d’obsession plutôt malsaine. Cependant, pour un péquin lambda, aucune raison que l’isolement ne guette, bien au contraire. Car, non seulement ces rencontres URL sont souvent suivies par des rencontres IRL (In Real Life) lors d’événements, mais ce que vous partagez avec votre fandom n’est pas forcément ce que vous pouvez partager avec votre entourage quotidien. Du moins pas sans risquer de soupirs ou de regards en coin. Ainsi le fandom vous permet simplement de créer différents groupes de sociabilisation en somme. Un peu comme le blogging finalement…
Et justement Internet et les réseaux sociaux ont, en ce sens, fait quelque chose d’inattendu pour les fans : en leur permettant de se retrouver, ils leur ont permis de s’assumer. Ça fait peut-être mouton de Panurge mais on se sent toute de suite moins bêtes lorsque 15 000 personnes (ou plus) sont comme vous. Avec Internet, Twitter, Facebook ou Instragam, être fan n’est désormais plus une tare. Faire partie d’un fandom permet désormais d’assumer une part de soi qu’on gardait un peu cachée jusque-là.
Les réseaux sociaux et Internet ont rendu les fandoms visibles à la face du monde, permettant à des fans de se rencontrer et de aussi se revendiquer en tant que tels. Mais la magie d’Internet a fait bien plus…
Influence et dérives.
Internet et les réseaux sociaux ont donc contribué à construire les fandoms tels que nous les connaissons dans leur fonctionnement. Et ce faisant, de matériau de structuration ces outils technologiques sont devenus une force, presque une arme entre les mains des fandoms, qui eux-mêmes sont devenus un précieux objet d’étude marketing pour l’industrie du cinéma et de la télévision. Des marchands de rêves qui voient dans le fandom une étude de marché gratuite et parfois aussi un repère de gogos, en tentant de leur faire prendre des vessies pour des lanternes.
Pourtant, ne vous y trompez pas, s’ils n’ont pas encore pris le pouvoir, les fandoms, grâce à la visibilité des réseaux sociaux, ont désormais acquis une large influence. Ils partagent leurs impressions et leurs verdicts parfois sans appel, avec le monde entier. Et c’est bien là une partie du problème soulevé par l’article cité en introduction, car la chose est à double tranchant.
Cette influence peut se révéler positive, les fans se posant en armée dévolue au soutien d’une série, comme dans le cas d’HeroCorp, de Star Trek ou Doctor Who, pour qui la dévotion des fans a été une bouée de sauvetage. Ils permettent ainsi la survie d’un objet culturel et se positionnent dans une situation d’échange et de soutien avec l’équipe. Les réseaux sociaux ont d’ailleurs ouvert une large de voie de communication avec les acteurs, producteurs, scénaristes, troupes, groupes, chanteurs, etc, qui sert tout autant au marketing et à la promotion qu’à une singulière forme d’échange qui s’est mise en place. Singulière car inimaginable il y a encore vingt ans de cela ! Désormais les séries et les films emportent pour ainsi dire les fans dans leur poche lors de leurs tournages ou d’événements comme le Comic Con de San Diego.
Seulement lorsque certains fans prennent trop d’assurance, cette bande d’échange, j’ai presque failli dire bande passante, peut se révéler toxique. Conscients de l’influence des fandoms, certains fans en deviennent possessifs et profitent de cette position pour s’arroger un droit de regard sur la gestion de leurs films ou franchises préférés, ainsi qu’en témoignait Joss Whedon dans l’article. Voilà donc les professionnels presque dépossédés de leurs rôles par leurs fans et c’est le monde à l’envers. Certes, le phénomène n’est pas nouveau puisque Sir Arthur Conan Doyle en son temps, en faisait déjà les frais, mais les nouvelles technologies de communication lui ont donné une puissance de feu supplémentaire.
La faute au fandom ? Pas vraiment. Il est probable que la croissance du phénomène découle en partie de l’influence grandissante prise par les fandoms. Cependant ce type de comportement est aussi à relier avec une tendance générale de nos sociétés quant à notre rapport à la notoriété. Hé oui ! Encore ce paramètre, cet élément pénible, me direz-vous ! Penchez-vous sur cette hypothèse une seconde : vous semble-t-il surprenant que certains fans se permettent d’harceler de leurs revendications un scénariste, voir de le menacer de mort quand on voit cette tendance croissante à l’appropriation de la vie privée de nos célébrités via Internet ? Pas vraiment n’est-ce pas ?
Internet et les réseaux sociaux ont favorisé une forme d’hyper-médiatisation, d’hyper-communication où, on l’a déjà constaté, les gens se sentent tout puissants derrière un écran, imbus d’un pouvoir extraordinaire : celui de pouvoir infliger leur opinion au monde entier et en particulier à ceux qui, autrefois, leur semblaient inaccessibles. Il ne s’agit plus pour certains d’une conversation privilégiée ou d’un partage, il faut être celui par qui le scandale arrive, celui qui gagne sur la Toile. Si vous en doutez, rappelez-vous le harcèlement gratuit subi par Zelda Williams après le décès de son père.
L’influence acquise par les fandoms via les réseaux sociaux n’est qu’un amplificateur de ce phénomène. Ce n’est pas le fait d’être fan qui permet cet effet, c’est le fait de pouvoir rallier un nombre conséquent de personnes derrière soi, d’obtenir une visibilité. Et cette visibilité, les fandoms la détiennent. Une force quand on vise un objectif positif comme le sauvetage d’une série, le soutien à une cause parrainée par un acteur. Une arme de harcèlement qui confine à la folie quand on entre dans une idée d’appropriation. En témoignent les menaces reçues par Amanda Abbington lors de l’arrivée du personnage de Mary dans Sherlock. Exemple qui n’est pas un cas isolé.
To be or not to be…
Les comportements mentionnés ci-dessus restent rares, ou du moins marginaux. De mon point de vue, le fandom reste le plus souvent une force positive. Un objet singulier qui a évolué avec les innovations de la technologie et de la communication. Une école de vie comme le disait Fan Actuel, qui vous pousse à aller vers l’inconnu, à voyager, à vous ouvrir aux autres. Un espace social et culturel, intangible mais présent, influent, qui vit sur la Toile et dans les événements. Une communauté basée sur le partage, l’échange, la connaissance, qui a su tirer un lien particulier de communication avec ceux qui conçoivent l’objet de leur intérêt, de leur passion. Il faut simplement garder à l’esprit que ce lien est ténu, fragile, défini par certaines limites, et que tout se base sur une relation de confiance, d’équilibre entre le fandom et les créateurs.
Les fans sont exigeants, pointilleux, c’est dans leur nature même. Et certaines productions oublieuses (le reboot de Ghostbusters pour ne citer personne) ou trop mercantiles en ont fait les frais. Leur passion se traduit dans leur amour du détail. C’est aussi ce qui fait leur cohésion, leur force. Ce qui leur a, pour partie, permis d’acquérir cette influence sur la Toile. Mais « With great power, comes great responsibility. » Certains semblent parfois l’oublier.
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