Résumé.
Editions Bragelonne. Parution : novembre 2015 Prix : 28€
» Imaginez les jumeaux maléfiques de Sherlock Holmes et du docteur Watson, et vous obtiendrez le redoutable duo formé par le professeur James Moriarty, serpent rusé d’une intelligence remarquable, aussi cruel qu’imprévisible, et le colonel Moran, violent et libertin. Ensemble, ils règnent sur Londres en maîtres du crime, défiant police et hors-la-loi. Quelle que soit leur mission, du meurtre au cambriolage de haut vol, Moriarty et Moran accueillent un flot de visiteurs malfaisants, dont une certaine Irène Adler. »
Mon avis.
Je vous ai livré le résumé éditeur pour ne point vous voler le plaisir de la surprise et gâcher la beauté de la chose, mais j’ignore si je pourrais tenir suffisamment ma langue dans cette chronique tant je me suis régalée.
Depuis mon petit plaisir avec Mycroft Holmes de Kareem Abdul-Jabbar et Anna Waterhouse, je tournais autour de ce volume, me demandant si Kim Newman parviendrait à leur tenir la dragée haute. Risquais-je la cruelle déception ?
Que nenni !
Dès les premières pages et la découverte du journal du colonel Sebastian Moran dans les coffres d’une banque dédiée aux escrocs et fripouilles de haute classe, on sent le potentiel de la bête mais on n’ose encore y croire.
C’est alors que mon heureuse surprise se fit. Je m’attendais, allez savoir pourquoi, à une histoire globale, une sorte de biographie de Moriarty par son second. Et je me retrouve plongée dans un recueil de nouvelles dont les titres sonnent familièrement à l’oreille de tout holmésien qui se respecte :
- Un volume en vermillon : Une étude en rouge.
- Désordre à Belgravia : Un scandale en Bohême.
- La ligue de la planète rouge : La ligue des rouquins.
- Le chien des d’Uberville : Le Chien des Baskerville.
- L’aventure des Six malédictions : Les Six Napoléons.
- L’invertébré grec: L’interprète grec.
- Le Problème de l’aventure finale : Le dernier Problème.
Non content d’établir un parallèle diabolique, Kim Newman pousse le vice, non seulement jusqu’à respecter l’ordre des choses en terminant par Le dernier problème, mais aussi jusqu’à multiplier les références au canon : noms, lieux, etc. Sans pour autant se contenter de nous offrir simplement une version sombre des nouvelles originales. Bien au contraire, dans les aventures du colonel Moran et du professeur Moriarty, notre auteur prend un malin plaisir à user des éléments de départ pour en recomposer des histoires à sa sauce, mais tout aussi savoureuses, avouons-le.
Il vient à cette lecture, une étrange mais cocasse impression d’avoir traversé le miroir. Tout est brillamment inversé : plus de détective consultant, désormais c’est le Napoléon du crime, notre criminel consultant, le Professeur James Moriarty qui est au centre de la toile, tandis qu’en guise de biographe, ce bon Docteur Watson se voit remplacé par le colonel Sebastien Moran. Autant vous dire que ça change de musique. Pour vous le résumer sans détour à la façon de Loth d’Orcanie (qui n’a rien à faire ici mais qui est bien dans le ton) : « Pour faire court, vous êtes ici chez les salopards. C’est admis. On n’a pas des idées bien jojos, et on n’a pas peur de le dire ! On fomente, on renégate, on laisse libre cours à notre fantaisie. »
Bien éloigné du ton docte et posé du Docteur Watson, Moran a une façon bien à lui de raconter les choses. Peut-être plus amusante aussi, car il n’y va pas par quatre chemins et sa prose gouailleuse, parfois crue, mais pourtant respectable est des plus amusantes. Le petit exercice de plume au sujet de Carew le fou, lors de L’aventure des Six Malédictions, où Moran y va franchement de ses commentaires est des plus hilarants.
Car Moran est aussi critique qu’élogieux quant au génie du mal qu’il nous décrit et quand il s’agit d’y aller de son commentaire, il n’y va pas de main morte. Ici point d’admiration inconsidérée, Moran a bien cerné son homme qu’il respecte et craint pour son génie autant que celui l’exaspère par ses manies et ses calculs. Moriarty le fascine mais de par son pouvoir il le tient à sa botte et pour cela Moran le déteste autant que Watson peut apprécier Holmes. Sans compter que clairement la gestuelle de serpent du Professeur Moriarty lui tape sur le système.
Visiblement bon connaisseur du style de Conan Doyle, Kim Newman n’hésite pas à jouer des éléments de construction des intrigues à la manière de celui-ci, imbriquant une histoire dans une autre dans L’aventure des Six Malédictions ou reliant directement par un habile tour de main narratif l’aventure qu’il vient de narrer à la nouvelle du canon. Comme dans Un volume en vermillon où les éléments viennent se situer chronologiquement avant Une Etude en rouge et semblent faire découler l’aventure que va vivre Holmes, des actions que vient d’initier Moriarty.
Moriarty, le chien des d’Uberville est un très bel exercice littéraire mené avec brio et saupoudré d’une bonne touche d’humour so british. Un portrait original et drôle du Professeur Moriarty et du Colonel Moran, imaginant brillamment le parcours de ces deux acolytes en parallèle de celui de Holmes et faisant avec beaucoup de finesse et subtilité le lien avec le Canon. Un roman où je me suis follement amusée et que je ne peux que saluer et recommander. Par son humour, ses intrigues bien pensées et son style piquant, il saura séduire un large public, amateur de fripouilles et d’escrocs, tandis que les holmésiens se régalerons en trouvant là une autre facette de leur univers favori. A n’en pas douter, Sir Arthur Conan Doyle lui-même, dans sa lassitude de Holmes, se serait beaucoup amusé à découvrir ainsi les aventures de sa Némésis.
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