Et là ascenseur émotionnel.

J’ai  bien dit  » ScriPTE » et non pas  » scriBE », donc non je ne vais pas vous parler du film Astérix et Obélix, Mission Cléopâtre.

Désolée.

Mais bien du métier de scripte ou script-girl, dite aussi « Script supervisor » ou «  Continuity girl » chez nos amis anglo-saxons.

Comme vous le constatez dans l’intitulé, de la fonction et de l’objet on a du mal à démêler les deux. Et si cela pose des problèmes orthographiques. On écrit la scripte mais la script-girl, même si la fonction peut-être masculine. Un méli-mélo est pourtant bien logique car la scripte est la dépositaire du script.

Et là j’en ai la moitié qui ont déjà mal à la tête donc je vais arrêter de jouer sur les mots.

Continuity supervisor

Tranchons dans le vif et préférons donc le terme de Continuity Supervisor qui, outre l’avantage d’être unisexe, met en avant le coeur de la fonction. Donc en dehors de veiller sur le scénario comme une poule sur son oeuf, que fait donc la scripte ? Dont généralement tous les spectateurs se fichent éperdument, ils sont partis avant que son nom arrive au générique, bande d’ingrats !

Oui ingrats, parfaitement !
Car, c’est grâce à elle qu’Harry Potter a sa cicatrice au bon endroit.
C’est grâce elle que John McLane a son débardeur taché de façon chronologique, même si on a filmé dans le désordre.
C’est grâce à elle que Sherlock peut sauter à nouveau du toit du St Bartholomew Hospital de la saison 2 dans la saison 3, deux ans après, sans une erreur dans le brushing.

Bref vous l’aurez compris, si votre film favori est monté dans le bon ordre et ne ressemble pas à une devinette du jeu Pyramide, c’est grâce à elle. C’est marqué dans l’énoncé : la scripte est responsable de la CONTINUITÉ du film. De façon générale elle vérifie les raccords des costumes, du maquillage, du décor, des regards, de l’action. On appelle ça les 7R.

1. Raccords dans l’axe
2. Regards
3. Rentrée et sortie de champ
4. Réflexion dans miroir et 180° (oui même les miroirs !)
5. Retournements
6. Raccord geste sur parole
7. Rythme déplacements

En gros si le cornet de glace que mange Nick Frost dans la voiture de police dans une scène d’Hot Fuzz ( je vais vous laisser chercher laquelle parce que je suis un peu sadique) a rallongé d’un plan sur l’autre au lieu de rétrécir, c’est qu’une scripte n’avait pas eu son café !

Et là vous vous dites qu’avec tout ça à la fin de la journée, elle a déjà bien mal à la tête.

Sans compter que ce que je viens citer n’est que la partie émergée de l’iceberg.

 Les autres missions de la script girl

En pré-production.

– Elle effectue un pré-minutage des séquences pendant les lectures de scénario.

– Elle répertorie les scènes par acteurs, par costumes, par décors, par accessoires et par véhicules si besoin pour aider à la préparation du planning de tournage et recenser ce dont on aura besoin pour tourner chaque scène.

– Elle établit une continuité chronologique. Ce que Sylvette Baudrot dans son ouvrage  » la Script-girl » définit comme une table de matière détaillée du film de 4 /5 pages et elle numérote les séquences.

En production

–  Elle fait des croquis du décor, note les objectifs et les distances, la lumière.

–  Elle numérote les séquences et les claps

– Elle suit le texte, note les changements, vérifie les raccords, prends des photos des fins de séquences et costumes pour raccords à venir.

– Et rédige au moins 4 rapports différents dont le rapport horaire  ou journalier (quand a-t-on commencé/ fini, les pauses) , le rapport de montage (séquences filmées et numéros), le rapport de production (qui indique l’évolution du tournage).

Une fois qu’elle a fini, elle peut enfin reprendre une activité normale, c’est à dire aller donner un coup de main au montage. Quand il n’y en a plus, il y a en encore !

En résumé la scripte c’est Shiva. Elle est le bras droit du réalisateur et du directeur de production et elle travaille avec … tout le monde en fait. Que ce soit le réalisateur, les acteurs à qui elle peut donner des indications de jeu ou leur faire répéter leur texte, costumière ou le/ la responsable des coiffures, du maquillage, des postiches, l’accessoiriste, le D.O.P…

Autant dire que mieux avoir un solide sens du relationnel, de la communication et de la diplomatie. En plus de deux ou trois petites qualités. Juste deux ou trois… Trois fois rien :

• Une bonne vessie
• Une solide constitution
• Une mémoire de compétition et une culture générale à décourager Jean-Pierre Foucault.
• Une vision de lynx
• Un sens de l’organisation relevant tous les défis
• Une énorme capacité d’adaptation.
• De l’énergie comme une pile Duracel
• Être une bête en calcul mental

La scripte idéale en vérité c’est Peper Potts sous amphétamines.

Chacun a besoin d’elle. Elle a besoin de tous. 

Sylvette Baudrot, La script-girl

Le métier de scripte est un sacerdoce. Franchement entre ça et gravir l’Everest en tongs, il n’y a pas grande différence. Avec le sens de l’abnégation et des relations humaines que demande ce boulot, je me dis que certaines scriptes devraient faire un mi-temps à l’ONU.

Et encore je n’ai fait que vous raconter le gros de l’histoire.

Mais il y a dans ce métier quelque chose qui est sans prix, quelque chose que connaissent tous ceux qui ont approché de plus ou moins près les coulisses d’une pièce, d’un concert, d’un film. C’est ce sentiment de participer à quelque chose de magique.

« Arriver le matin sur un plateau, voir les techniciens et les comédiens travailler, travailler avec eux, c’est un plaisir merveilleux. Toujours. »

C’est par ces mots qu’Isabel Salvini conclut l’ouvrage, coécrit avec Sylvette Baudrot, la Script-girl.

Ce n’est pas sexy une scripte.
Ce n’est pas glamour.
C’est plus souvent doudounes et jeans que paillettes et robes fendues.
Ce n’est pas le nom que les gens attendent au générique
Ce n’est pas le métier que rêvent de faire les petites filles ou les petits garçons.

Il est certain que, comme beaucoup de métiers du cinéma, on ne fait pas celui-ci par désir de reconnaissance ou pour le salaire. Mais c’est une histoire de vocation. De passion.

J’aime ces métiers, j’aime les gens qui les font. Car ce sont eux qui font réellement battre le cœur d’une production.

Sources

– La Script Girl, Sylvette Baudrot, Isabel Salvini. Editions La Femis.

– L’art du film, 2ème édition française, David Bordwell, Kristin Thompson. Editions de Boeck.

– Quitte à avoir un père, autant qu’il s’appelle Gabin. Florence Moncorgé-Gabin. Editions le Livre de Poche