Bacri : le bougon gentilhomme

Biographie. Éditions l’Archipel. Prix 18€. Parution : décembre 2021

Tirer sa révérence

Le 18 janvier 2021, Bacri tirait sans révérence, sans préavis.  A sa façon.

Je pars avant les emmerdes.

Dernier trait d’humour grinçant, en guise d’adieu.

Un étrange sentiment nous prenait alors. Un singulier pincement au coeur. La sensation d’avoir perdu un repère, quelqu’un d’éminemment familier.

Un sentiment partagé par inconnus comme familiers, que Alain Chabat résumera parfaitement dans son hommage, lors de la rediffusion spéciale du Burger Quiz avec Jean-Pierre Bacri et Agnès Jaoui.

« J’adorais Jean-Pierre Bacri avant de le rencontrer et encore davantage après. Qu’on ait croisé sa route ou pas, il était notre ami. Tant de raisons de l’aimer. Sa visite à Burger Quiz fut un moment merveilleux de gentillesse, d’intelligence et de rigolade. Ce soir-là, avec Agnès, Léa et Jamel, on était comme dans son salon à dire des bêtises. Ce soir, nous rediffusons cet épisode, plein des rires de Jean-Pierre Bacri »

Peut-être l’aies-je ressenti un peu plus alors, car Bacri avait le même regard que mon père, profond, impénétrable et un peu mélancolique. Ce côté râleur, pince sans rire aussi.

Le Bougon Gentilhomme : raconter Bacri

Un an après, pas tout à fait jour pour jour, Valérie Benaïm et Sandra Freeman décident de nous conter Bacri. Comme pour nous rappeler pourquoi nous l’avons tant aimé. Pourquoi l’homme était un acteur si puissant.

A deux mains, elles égrènent les souvenirs au fil des témoignages de ses amis, sa « famille choisie ». Du Bacri jeune cannois insolent qui cherche sa place, que l’on découvre séducteur et un peu flambeur, à celui du Goût des Autres, jusqu’au final de Place Publique, un chemin se trace.

Mais dans ses évolutions et ses réflexions, Bacri reste profondément le même.

Un type entier, sincère,  franc du collier, imbu d’un sens de la vérité et en lutte contre le mépris et la condescendance. Un acteur avec un humour pince sans rire et un sens imparable de la justesse en bandoulière.

Un bougon gentilhomme, que le titre est bien choisi. L’image résume si bien le personnage. 

Ce bourru bougon pourtant si généreux dans son jeu, si plein d’humour, si prévenant avec ses partenaires, si plein d’esprit, si entier et libre dans ses convictions et ses engagements.

Un subtil mélange de gentillesse et d’intransigeance qui séduit effectivement sans chercher à plaire. Pas de suffisance pas d’obsequiosité, de vulgarité ou de mépris, ni pour lui, ni avec lui. Il en sera toujours l’ennemi.

Ma gueule fait la gueule, c’est ainsi. Parce-qu’un sourire, ça a de la valeur. A celui qui me l’arrache, je donne quelque  chose de bon et de vrai. Alors on dit souvent que je fais la gueule. Mais oui ! Bien sûr que je fais la gueule ! Et je vais continuer à la faire ! Quand je n’ai rien à dire et aucune raison de sourire,  je fais la gueule. Je fais ma gueule. C’est à dire que j’ai cette tête.

Bacri : la complexité du bougon

Au début, le livre déroule de façon un peu fade, linéaire, descriptive. Il tâtonne, cherche un peu sa voie, quelques maladresses, comme cette phrase qui se répète mot pour mot d’une page à l’autre

On a du mal à toucher le personnage, comme s’il fallait percer la carapace pour trouver Bacri derrière le jeune homme que l’on découvre.

Parfois, on l’entre aperçoit, mais les auteures semblent avoir du mal à l’attraper.

Et puis soudain le miracle se produit. Ca se décante. Bacri rencontre Jaoui et d’un coup le voilà qui vibre entre les pages.

Comme s’il fallait Agnès pour révéler Jean-Pierre. Alors que pourtant, à ce moment, l’histoire est tout autre. Bacri est déjà un nom du cinéma, tandis qu’Agnès Jaoui est encore une inconnue.

Peut-être est-ce aussi simplement, parce que ce Bacri, nous  le connaissons mieux, et les auteures aussi. Il nous est plus proche, plus familier. C’est celui dont on se souvient. 

Le livre prend alors un autre rythme, une autre dynamique, une profondeur. Tout s’anime, prend du corps. On le sent enfin vivant entre les pages, palpable. Bacri est là, dans toute sa complexité.

A nouveau, il paraît proche de nous. Sans doute, parce que de l’acteur à l’intime, au fil de ses films, Bacri s’est raconté autant qu’il nous a raconté.

Film après film, souvenir après souvenir, on en oublierait presque que notre bougon gentilhomme s’en est allé.

Presque…

Le bougon gentilhomme : un dernier hommage, un dernier adieu.

Cette biographie nous rappelle aussi que Jean-Pierre Bacri était tellement plus que cette étiquette de râleur qu’on aimait à lui coller à la peau.

Entre privé et public, elle nous trace le portrait d’un homme qui, tel un bon vin, a su gagner en maturité, en nuances, en complexité, pour être à l’écran cet acteur que nous avons tant aimé et qui manque tant au cinéma. Le tout sans jamais porter atteinte à sa pudeur et sa discrétion

Quarante ans de carrière retracés en forme d’hommage. L’occasion de dire au revoir sobrement, mais joliment à celui qui avait préféré tirer sa révérence toute discrétion.

On est prêt de s’en sortir si on décide de remettre en question les choses, d’avoir une pensée personnelle et de se dire : « C’est pas aux autres de me dire exactement qui je dois être. « 

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