Où vont les larmes quand elles sèchent

Se lancer dans un roman de Baptiste Beaulieu, c’est toujours un frisson au coeur.

C’est comme se lancer du haut du plus haut plongeoir quand on est petit. On prend une profonde inspiration et d’un coup c’est le tourbillon d’émotions. On se sent secoué. On a l’estomac qui veut s’envoler. On ne sait plus trop où on est.

Mais quand c’est fini, on a toujours envie de recommencer.

Où vont les larmes quand elles sèchent n’échappe pas à la règle. Peut-être encore moins que les autres.
Le dernier roman de Baptiste qui m’avait laissé KO au coeur comme cela, c’était La Ballade de l’Enfant Gris. Ceux qui connaissent, savent.
Les autres, préparez vos mouchoirs, vos couvertures de survie.

Car il est comme ça, Baptiste, il travaille l’humain, le vrai. A pleine plume. Sans fioriture. Pour y chercher le bon, peut-être… Ou pour mieux comprendre le mauvais. Allez savoir…

Dans Où vont les larmes quand elles sèchent (excellente question d’ailleurs, docteur) il nous parle de Jean, ce jeune médecin de famille qui n’arrive plus à pleurer.

Pourtant il en voit des choses, Jean, il en encaisse. Le pire et le meilleur de la misère humaine même. Et les histoires de ses patients il les prend avec lui et cela le rend plus lourd encore parfois.

Comme la récidive du cancer de Josette.

Comme la solitude d’Alvaro, depuis que sa Charlotte est partie.

Mais depuis que cet enfant est mort, il ne pleure plus Jean. La machine est grippée, bloquée sur ces fichues six minutes de trop qui ont tout fait basculé. Bloquée sur un enfant, mort d’avoir été trop aimé.

On voudrait l’aider, Jean, le prendre dans nos bras. Lui dire que oui il fait comme il peut. Que non ses mots de réconfort ne sont pas creux. Qu’il a le droit d’être épuisé, en colère, au bout du rouleau. Parce que bordel non ! Le monde ne tourne pas rond.

Lui qui essaie de soigner toute la misère du monde, on le découvre si fragile à l’intérieur, à essayer de trouver toute la beauté du monde pour se dire que tout cela n’est pas vain. Que même le malheur a du sens.

 » Le malheur c’est la preuve que le monde ne nous ment pas, Jean. »

C’est toujours difficile de parler d’un roman de Baptiste Beaulieu. On a peur de ne pas trouver les mots justes. Comment dire, comment expliquer alors que lui sait raconter le monde avec tant de vérité et de poésie ?

Entre la fiction et le vécu, la frontière se fait floue, s’estompe.
Le personnage de Jean se fait passeur d’histoires et nous confie celle d’Alvaro, de Josette, de Mme Chahid, de Mme Moreno, de M. Barry, de Virginie et son mari « Bruno Cestpasmonaffaire de Mme Uwimana, d’Edith, de Zina et de Miran qui chante les morts et les vivants.
Il nous les pose avec délicatesse entre les mains, entre les pages, comme pour être sûr qu’elles ne soient pas oubliées.

Certaines sont amusantes ou touchantes, d’autres vous brisent le coeur. On comprend alors le désarroi tragique du soignant. De ce médecin qui, face à son impuissance raconte, raconte à gros sanglots, puisqu’il n’arrive plus à pleurer.

Personne ne vous forme sur les bancs de médecine à encaisser toute la vérité du monde. Ni à savoir si on peut l’aimer pour rien.

Uppercut et Knock out, Baptiste. C’est fini. J’ai fermé la dernière page et j’ai le coeur qui va exploser, gonflé de toutes les larmes que Jean n’arrive pas à verser.

Pourtant de ces histoires, de cette histoire, il reste une lumière, un espoir. Un apaisement. Peut-être que c’est là où vont les larmes quand elles sèchent : fabriquer de l’espoir.

Merci Baptiste.

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