The Gray Man : shoot d’action entre les pages
A l’origine, il y a un livre. Dans la lignée des Jack Ryan, Jason Bourne et autres agents secrets aux aventures palpitantes et improbables, se trouve Court Gentry, ditThe Gray Man, légendaire et insaisissable tueur à gages.
Un jour pourtant, à l’exfiltration d’une mission réussie en Irak, le Gray Man se trouve pris dans un étrange feu croisé, visiblement sur le terrain de jeu de quelqu’un d’autre.
Dès lors, sa tête se trouve mise à prix, y compris par sa propre agence, et des équipes de tueurs professionnels du monde entier se lance à ses trousses.
Le Gray Man va devoir se battre pour survivre, mais aussi pour comprendre quels intérêts supérieurs sont en jeu au dessus de sa tête.
Un scénario musclé, où Mark Greaney ne fait pas défaut à sa qualité de co-auteur de Tom Clancy. On est totalement dans le genre.
Le mystère réside autant dans l’intrigue où se trouve pris le héros que dans le passif de celui-ci, dont on découvre l’identité et la personnalité au fil de l’action.
C’est propre, net, efficace. On sait ce qu’on lit et pourquoi on le lit. Shoot d’action et d’adrénaline garanti. Le côté haletant du scénario où les péripéties se succèdent sans temps mort, fait oublier les ficelles parfois un peu faciles.
Jason Bourne a clairement du souci à se faire. Le Gray Man lui fait une concurrence qui ferait passer Bruce Willis et son John McClane pour un petit joueur.
Mais ça, c’était avant le drame….
The Gray Man : et puis Netflix est arrivé…
» Anthony ! Joe ! Qu’est-ce-que c’est que cette merde ?! «

Or donc le 22 juillet dernier, Netflix nous annonçait triomphalement la sortie de l’adaptation cinématographiquement du Gray Man.
200 millions de dollar de budget et un casting prestigieux : Ryan Gosling, Chris Evan, René Jean Page (de Bridgerton, sic) et pas moins que Billy Bob Thornton pour…. une sombre bouse.
Ce n’est pas tous les quatre matins que je suis d’accord avec les critiques culturelles du Monde, mais là il faut avouer…
Déjà on a un Ryan Gosling là où le personnage aurait mérité un Ryan Reynolds, bien plus badass.
D’office à l’annonce de l’adaptation, ce choix m’avait laissée perplexe, cependant je laissais le bénéfice du doute.
Crainte justifiée. Malgré tous ses efforts, l’acteur ne parvient pas à faire oublier un côté beaucoup trop lisse qui ne colle pas du tout au personnage.
Apparemment rajouter des poils à la barbichette ne suffit pas à gagner en charisme.
A vrai dire, lui-même ne semble pas bien convaincu de ce qu’il fait là.

Mais ne jetons pas la pierre à ce pauvre Ryan qui fait ce qu’il peut avec ce qu’il a. Ce qui n’est pas grand chose, si ce n’est un personnage passé à l’Ariel qui lave plus blanc que blanc.
Dès le départ, on lui invente une back story qui en fait un gentil d’emblée. Or, le principe du Gray Man justement c’est qu’il n’est pas tout blanc.
Note aux scénaristes : c’était dans l’intitulé. Gray Man tout ça. Je vous laisse réfléchir là-dessus.
C’est un salopard (avec une certaine morale) qui bute des salopards.
Là, ça devient Rémy sans famille le mec, passé par la case prison, pour devenir tueurs à gages.
Cet angle d’attaque tue d’office une partie du scénario et du suspens. Au lieu de plonger dans l’action direct, comme dans le livre, et de découvrir le Gray Man au fil de l’intrigue, on en fait d’emblée un gentil déchu.
Comme ça, on a des gentils, des méchants et c’est parti Zizi !

A ce sujet, je suis pas sûre qu’on puisse vraiment parler d’adaptation quand on se contente de remixer vaguement 4 ou 5 éléments de l’intrigue et un fil directeur. A la limite, on peut parler de taillage sauvage. Ou de massacre à la tronçonneuse.
Face à notre gentil aussi badass et charismatique qu’une moule en plein soleil en été se trouve donc un méchant et un très méchant psychopathe, très rapidement BIEN identifiés, au cas où le public serait débile et aurait du mal à suivre.

N’aurait-il pas été plus utile, à la rigueur, de suivre le scénario de départ et de leur coller des étiquettes ? On aurait gagné en profondeur tout en gardant un objectif de large audience.
En plus cela aurait été plus assumé et rigolo. Je lance le concept au hasard !
Le très méchant psychopathe, incarné par Chris Evans, est bien le seul point d’intérêt de l’affaire. On sent une jubilation de l’acteur à incarner, enfin, un rôle à contre emploi, dans lequel il s’amuse beaucoup.
Hélas, cela s’arrête là et ce n’est pas suffisant pour relever la sauce de cette onéreuse daube.
Merci de noter ce magnifique jeu de mots. Sauce, daube… Bon d’accord je me tais.
Le reste de cette affaire massacre glorieusement les éléments intéressants du livre, pour en faire une suite d’actions et de clichés indigeste, cousue de fils blancs jusqu’à l’écœurement.
Les personnages comme l’histoire y perdent tout intérêt. De toute façon, la osychologie des personnages, on s’en lave les mains.
Les acteurs pédalent sans conviction dans la mélasse, peinant dans un scénario aussi incohérent que prévisible. Même les tentatives d’humour font plouf de façon affligeante.
Sans être un chef d’œuvre impérissable, le livre initial est bien conçu, dans les règles du genre et centré autour du personnage du Gray Man.
Note à l’attention des scénaristes : Je m’en voudrais d’insister mais là encore le titre était un indice hein !
Qui est réellement le Gray Man ? Dans quoi a-t-il mis les pieds ? Quelles sont ses relations avec son agence ? Comment est-il devenu une légende ? Et pourquoi déployer une telle armada de tueurs à ses trousses ?
On ne peut pas dire que cela soit franchement rentable pour un seul homme. A moins que…. Ceci était le point budget de la chronique.
Sans spoiler, le film modifie complètement le postulat de départ, mélange les éléments en un joyeux mic-mac, mixe les personnages, créant des clichés et des contresens.
En éludant d’emblée l’ambiguïté de Court Gentry pour ne garder que le côté badass du Gray Man, il perd clairement de vue ce qui fait la saveur du livre.
A partir de là, Gray Man, Jason Bourne ou OSS117, quelle est la différence ?
Peut-être la blanquette pour OSS117 ? Ceci était le point gastronomique de la chronique.
Cette adaptation, qui sent à plein la franchise planche à billets, est donc à fuir. Sans regret aucun. Même pas digne du pop-corn et de la bière.
Si vous aimez Jack Ryan, Jason Bourne et James Bond, préférez résolument le livre qui vous offrira un excellent moment de divertissement, même avec ses imperfections. C’est à retrouver aux Editions l’Archipel !
