Le talent d’Audrey Fleurot, et son charme un peu aussi, pourraient emmener July n’importe où dans la fiction française. De Kaamelott à Un Village Français, le voici donc maintenant qui fait une halte au Bazar de la Charité. Sur TF1 donc… Sic… Dans la partie « grosse production qui va t’éclater » de TF1 même… Re-Sic… July se serait-il donc égaré, les yeux éblouis par la piquante rouquine ?
Oui mais non, parce-que voilà July on ne lui fait pas prendre des vessies pour des lanternes (expression tout à fait appropriée au contexte de 1897) et il ne faut pas pousser Mémé dans les orties (1942 pour celle-ci je pense). Le voilà donc qui s’en va tambour battant vous remettre de l’ordre dans ce Bazar.
Attention, ça va flamber, chérie !
Carton d’audience sur TF1 et retour de la fiction dite historique sur une grande chaîne de télévision, j’ai donné de ma personne afin de pouvoir critiquer ce grand retour de l’histoire sur grand écran (il paraît que depuis Les Rois Maudits, sur France 2, avec la regrettée Jeanne Moreau, il n’y avait pas eu de grande fresque historique[1] ; il paraît aussi que pour TF1, c’était Les Misérables en 2000, avec Depardieu, Clavier et Malkovich[2], à confirmer toutefois).
Du coup, on peut se demander ce que c’est que ce bordel. Ce bazar, pardon. C’est une série diffusée sur TF1, nous l’avons dit plus haut, composée de 8 épisodes d’environ 50 minutes chacun, à 3-4 minutes en plus ou en moins près. La série raconte le destin de trois femmes en 1897 qui sont prises dans l’incendie du Bazar de la Charité, un lieu où des ventes destinées à recueillir des fonds pour les classes populaires de Paris sont organisées par les classes bourgeoises et aristocratique. L’une sera brûlée, la seconde sauvée par un anarchiste accusé d’avoir déclenché l’incendie et la troisième se sert de l’incendie pour échapper à son mari.
Un budget de plus de 2 millions par épisode, un lancement au Grand Rex, un lien avec Netflix pour distribuer à partir du 26 décembre la série à l’international[3], tout est là pour montrer que l’on a une grosse production. Le casting suit : Audrey Fleurot, Gilbert Melki, Camille Lou, Stéphane Guillon, Josiane Balasko, Aurélien Wiik, Antoine Duléry… De nombreux comédiens de prestige étaient là. La production n’a pas hésité à mettre le paquet pour l’incendie déclencheur de la série : des pompiers présents 24h/24, de grandes flammes, des cascadeurs en feu ; tout est mis sur le décor et le réalisme[4].
Vous le sentez le gros mais qui arrive ? Bon. Ben le voilà :
MAIS. Oui, ça me fait rire. Je trouve que c’est hilarant (de la Baltique). Mais bienheureux les gens simples d’esprit, le royaume des cieux est à eux. Je crois que je sais où je vais finir…
Revenons à nos méchouis (j’allais dire à nos moutons, mais vu l’incendie…). Si le casting est impressionnant sur le papier, il n’interprète pas bien les rôles. On a l’impression qu’Audrey Fleurot fait du Audrey Fleurot (et pourtant, jamais je n’aurais cru écrire cela un jour…), que Camille Lou montre comment elle a été recrutée (sur 1789, les Amants de la Bastille), que Gilbert Melki fait un truc simple sans se fouler, que Balasko a un rôle de vieille mégère, comme d’habitude…
L’incendie déclencheur, celui qui est présent à chaque scène car mentionné et à l’origine du destin des trois personnages principaux, devait faire le plus réaliste possible, il en devient une vaste blague. Les personnages crient pendant une demi-heure ou presque dans tous les sens, ça en devient ridicule, à tel point qu’on avait presque envie que tout ce petit monde crève en silence. C’est d’ailleurs le moment où je suis sorti de la série… Mais il restait 7 épisodes à voir après.
Il n’y a d’historique que les costumes d’époque, et encore, y’avait des costumes qui faisaient plus années 1940 que 1890. Je pense notamment à un haut rayé d’Audrey Fleurot qu’elle aurait pu porter dans les premières saisons d’Un Village Français. Ça fait faux. Les femmes sont beaucoup trop libres pour l’époque et plutôt que de montrer leur affranchissement dans la série, on montre des personnages qui prennent des libertés que jamais ils n’auraient pu prendre en réalité. Cela confirme les théories des historiens : toute production historique culturelle est le reflet de son époque[5].
J’ai pourtant laissé sa chance au produit. J’ai essayé de m’impliquer dans la série et de me sentir concerné. Mais force est de constater que ma femme m’a entendu répéter à peu près quatre fois par épisode (hormis le premier) qu’ « on s’en fout de cette histoire, qui n’apporte rien », même quand un personnage fait une crasse à un autre. Le scénario est banal. J’ai presque cru qu’à un moment, on allait mettre du drame, avec un p’tit meurtre, un truc comme ça. Mais non. Au final, TF1 a réinventé avec Netflix le « based on a true story » que je déteste. On fait du BFM avec cette série : un fait divers que l’on dramatise alors que tout le monde s’en fout.
Je ne comprends pas le carton d’audience. 6 millions a minima pour chaque épisode, et 7 millions environ pour la première et la dernière soirée de diffusion, soit plus de 25% de part de marché pour chaque épisode. Je ne saisis pas. À l’heure où l’on réclame de la qualité, les gens se contentent-ils de si peu ? Suffit-il de mettre trois femmes fortes et un scénario basique afin de pouvoir se faire de l’audience ? Je vois fleurir de nombreuses fictions au scénario banal comme cela et elles font de l’audience. Je pense que la fiction doit au contraire oser plutôt que d’être consensuelle comme cela. Un mort par ricochet, un assassinat brut (sans nécessairement montrer un éventreur dans ses détails…) feraient largement l’affaire. Mais apparemment, 2 chiffons années 1890, trois femmes libres et quelques effets spéciaux suffisent. Je trouve cela triste. On pourrait tellement faire mieux, avec ces femmes libérées, sans une fin consensuelle…
« On veut des rêves qui nous soulèvent, on veut des fleurs à nos douleurs, on veut du sens, de l’innocence, au nom de nos libres penseurs », chantait Camille Lou dans 1789, les Amants de la Bastille[6]. Il n’y a rien de cela. Pas de rêve, pas de fleurs (hormis celles des enterrements suite à l’incendie), pas de sens ni d’innocence. C’est fade. On dirait une purée de chou-fleur non assaisonnée : un vague début de goût, mais rien ensuite.
Sur ce missile-métaphore culinaire, je m’en vais préparer ma liste de courses pour les fêtes, que je vous souhaite joyeuses, en espérant que chez vous, ce ne soit pas trop le bazar.
July
[1] Entendu sur Franceinfo, le 11 décembre 2019, vers 7h30. Vous allez devoir me faire confiance sur celle-là, je ne vais pas réécouter la matinale juste pour vous non plus.
[2] Idem.
[3] https://www.lepoint.fr/series-tv/le-bazar-de-la-charite-le-succes-inattendu-de-tf1–09-12-2019-2352046_2115.php, consulté le 11 décembre 2019.
[4] http://www.leparisien.fr/culture-loisirs/series/le-bazar-de-la-charite-une-serie-flamboyante-18-11-2019-8195550.php, consulté le 11 novembre 2019.
[5] Par exemple, on voit aujourd’hui beaucoup plus de personnages historiques féminins car nous vivons dans un monde d’affirmation des droits de femmes. Dans les années 1960, quand il fallait montrer la grandeur des États-Unis à l’Occident, on réalisait des péplums qui montraient la grandeur de Rome. Depuis quelques années, la civilisation occidentale perdant de sa superbe, on montre des films faisant périr des dieux grecs au profit des mortels, ou les derniers moments de l’Empire romain… Sans compter les films catastrophe qui n’ont jamais été aussi nombreux (sur Pompéi par exemple) dans un contexte où nous avons peur de foutre en l’air la planète. C’était la minute de réflexion sociologiquo-historique.
[6] Je préférais placer Joe Dassin quand même, y’avait un idéal culturel à défendre. Alors que là…
4 réponses à “Et si on regardait… Le Bazar de la Charité ? (ou pas !)”
Pas d’accord. Okay il y a des incohérences et des anachronismes mais il ne faut pas oublier dans quel contexte nous sommes et faire trois gemmes émancipées ça donne bien.
Et Gilbert Melki est énorme dans le rôle de cet affreux connard.
Même si elle a pas mal de défauts ça reste la meilleure série française depuis des années. Et probablement, oui, depuis les Rois Maudits.
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Le contexte actuel fait que la série joue sur des personnages féminins pour séduire la ménagère de moins de 50 ans et vendre cher sa série car les créneaux publicité seront assez chers. Du coup, les trois femmes émancipées deviennent vite des pompes à fric pour TF1, la RTBF et RTS, qui coproduisent souvent leurs programmes. Ca a marché pour TF1, moins pour la RTBF (292 000 spectateurs) qui s’est vue faire des audiences banales pour la série. Je n’ai pas les chiffres pour RTS.
Quant au fait que ce soit la meilleure série française depuis des années depuis les Rois maudits, je ne suis absolument pas d’accord. Engrenages, Un Village Français, Dix pour cent, Borgia, The Young Pope, Le Bureau des Légendes, Mafiosa, Braquo, les Petits meurtres d’Agatha Christie ou encore Ainsi soient-ils sont d’excellentes séries françaises qui ne tombent que rarement dans la facilité, contrairement au Bazar de la Charité qui a un scénario capable de tenir sur un napperon de table avec comme tu le dis des incohérences et anachronismes.
Enfin, je ne trouve pas que Melki soit au sommet de son art après l’avoir vu dans Kaboul Kitchen.
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Et je citerai aussi Maison close qui s’avère beaucoup plus féministe que ce que l’on pourrait croire de prime abord.
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[…] Série dont j’ai fait la critique ici : https://juneandcie.com/2019/12/16/et-si-on-regardait-le-bazar-de-la-charite-ou-pas/, consulté le 26 octobre […]
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