Les Oracles : joyeux bûcher des vanités

Quel bonheur ! Mais quel bonheur de retrouver le style mordant et pince sans rire de Margaret Kennedy.
Il y a comme un parfum de Jane Austen pourtant, ami lecteur, ne vous y trompez pas.
Si ces deux-là ce seraient entendues comme larron en foire, hélas séparées par plus d’un siècle d’écart, Margaret Kennedy possède un terrain de jeu qui lui est propre. Elle cultive une certaine prédilection pour les huis clos dans de petits villages anglais et les défauts de l’âme humaine.

Après Le Festin et Divorce à l’anglaise, Les Oracles n’échappent pas à la règle et c’est sans aucun doute l’un de mes préférés.

Le rideau se lève sur cette fausse tragédie grecque un samedi soir, vers 22h, lorsqu’un orage incroyable s’abat sur le petit village de East Head. Et cet orage, mes amis, va être le déclencheur du plus mémorable des quiproquos.

En effet, ce soir-là, Mrs Rawson, auto proclamée mécène de l’artiste local Conrad Swann, a organisé une soirée pour dévoiler l’Apollon, dernière oeuvre du maître.

Elle y convie la petite élite d’East Head, notamment Dickie Pattinson, le notaire local, dont l’intelligence se morfond dans cet environnement étriqué.
Seulement voilà Conrad s’est évaporé, sans laisser de traces, laissant derrière lui enfants et concubine.
Les convives retenus de force par Martha se noient dans une morosité alcoolisée. L’orage s’abat alors sur la ville, coupant le courant et faisant tomber le rideau sur cette étrange soirée.

Le lendemain, la découverte de l’Apollon abandonné provoque une certaine gueule de bois et sème la zizanie dans cette petite communauté.
Conrad est-il un génie ou est-il devenu fou ? Alors qu’il n’y a alors toujours aucune trace de l’artiste, son ancien ami Frank Archer qui a refait surface lors cette soirée fatidique, dévoile alors une lettre où Conrad lui donne tout pouvoir sur l’Apollon, notamment de s’en débarrasser.

Dès lors les passions se déchaînent entre les partisans de l’Apollon et les sceptiques de l’art moderne. Les uns se démènent pour le faire acquérir par la petite ville alors que les autres crient à l’hérésie. L’appréciation qu’ont nos personnages de l’Apollon prend finalement plus d’importance que l’œuvre elle-même et chacun a à coeur d’exprimer une opinion bien tranchée.

De l’intrigue presque policière (mais où a diable disparu Swann et pourquoi ?) au questionnement existentiel autour de l’art et du sens de l’existence, Margaret Kennedy s’en donne à cœur joie.
Elle habille caustiquement ses personnages pour l’hiver, jouant des petites vanités de chacun, des mensonges, des gargarisassions des soi-disant connaisseurs d’Art, des jeux d’influence et de pouvoir dans ce type de petite ville de province.

Notable ou simple femme au foyer. Personne n’est épargné. Mais selon moi une mention spéciale au remontage de bretelles en règle fait par Mrs Hugues à Christina, la femme de Dickie.

 » On dirait que tu n’as pas mûri, Christina. Tu es restée la fillette imbue d’elle-même que tu étais à l’école. « 

Morceau choisi de ce moment savoureux. Net, sec et précis. Pourtant cette pauvre Christina aura un rôle crucial à jouer dans cette histoire.

Margaret Kennedy peint avec justesse et un humour grinçant le tableau des petites vanités humaines dans l’existence. Elle en tire une comédie acidulée aussi juste que savoureuse, étonnement moderne et parfaitement aboutie.

Quant au mystère du fameux Apollon, je vous promets que vous ne serez pas déçu du voyage. J’en ris encore ! Ô Art Moderne quand tu tiens.

Si vous êtes déjà tombé sous le charme de Margaret Kennedy, ou si vous avez une prédilection pour Jane Austen, ces Oracles sont à découvrir absolument. Croyez-moi sur parole, ils sont de bon augure !

A retrouver aux Editions de la Table Ronde.

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