Ainsi commence La Fileuse de verre...
Tracy Chevalier est une magicienne. En quelques lignes à peine, elle vient de planter un décor, de définir une époque, de poser son intrigue comme on déploie un somptueux tissus.
Elle vient surtout de signer un subtil pacte avec le lecteur en l’initiant au temps alla Veneziana. C’est un tour de magie, un habile tour de passe passe où chaque ricochet nous projettera dans le temps à travers les grandeurs et les misères de l’histoire de Venise, sans affecter notre héroïne de la même façon.
En brouillant ainsi les cartes du temps, elle nous fait franchir les siècles au côté d’Orsola jusqu’à ce que son temps rencontre le nôtre. Une histoire de famille, de secrets, de survie et de renouvellement à travers les époques et les changements. De la Grande Peste aux guerres napoléoniennes, c’est l’histoire de Venise qui se reflète dans celle de Murano et, d’un rivage à l’autre, se tisse le destin d’une femme, Orsola.
Une épopée qui nous plonge dans les secrets de cet art presque magique du verre. Emporté par Orsola, nous observons particulièrement l’avènement et l’expansion d’une petite chose qui pourrait sembler anodine : les perles.
Perles de verre puis perles de rocaille, ces petites gouttes de beauté, objets de luxe puis de troc ou d’ornement, vont marquer un tournant dans l’histoire du commerce du verre et de sa fabrication.
Comme toujours avec Tracy Chevalier, le récit s’entoure de recherches appuyées, fouillées, creusées jusqu’à plus soif. L’autrice s’étant prêtée au jeu jusqu’à s’initier elle-même à l’art du verre, à côtoyer Maestro et serventi dans la fournaise des ateliers pour mieux comprendre et s’imprégner.
Vient alors le temps de la magie. Dans le monde de l’écriture, Tracy Chevalier est telle la Fée Morgane, elle va et vient dans les brumes du temps, porteuse de mille savoirs.
Et soudain, devant vos yeux éblouis, de toutes ces connaissances, un monde jaillit.
Soudain vous admirez l’adresse des gondoliers des traghetti, le felze raffiné des plus riches gondoles qui protègent le teint pâle des fortunés.
Soudain vous sentiez la brûlure ardente du feu de l’atelier et vous regardez le verre se métamorphoser.
Soudain vous percevez l’odeur écœurante de la lampe à suif qu’utilise Orsola et vous la contemplez, filant patiemment ses perles, jouant de cette si petite et délicate goutte de verre.
Soudain, vous êtes au bord de la lagune, sur le rivage nord de Venise, face à Murano, votre pierre plate à la main, prêt à faire un nouveau saut dans le temps…
La Fileuse de verre est à retrouver aux Editions de la Table Ronde
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