Dans l’Angleterre des années 1810, il n’est guère aisé d’être une femme. Elisabeth Philpot et ses soeurs en font la douloureuse expérience. Suite au mariage de leur frère, les voilà contraintes de quitter la demeure familiale et de réduire leur train de vie en allant s’exiler à Lyme Regis, petit village côtier du sud de l’Angleterre. Pourtant le charme du panorama ne suffit pas à contenter Elisabeth qui ne peut s’empêcher de ressentir l’aspect étriqué de cette existence de vieille fille. Mais son chemin va croiser celui de la jeune Mary Anning, qui se passionne pour les fossiles. La jeune fille semble posséder un don pour découvrir des spécimens exceptionnels et cela va bouleverser leur existence à toutes les deux. En dépit des houles que subit leur amitié, Elisabeth va remuer ciel et terre pour que Mary ne soit pas dépossédée de la paternité de ses découvertes, au nom de son statut de femme et de sa classe sociale inférieure. Le portrait touchant de deux femmes exceptionnelles dont le destin nous plonge dans les méandres de l’histoire des sciences.
Pourquoi tenter de s’en cacher: je suis en amour avec le style de Tracy Chevalier. Sa façon de raconter sonne comme une voix familière à mon oreille. Sans fioritures, de façon merveilleusement simple et posée, elle sait faire ressurgir des moments du passé, revivre des époques, des mentalités. Ses personnages, fictifs ou réels, prennent vie avec toute la force de leur caractère, s’esquissant un peu plus à chaque ligne, jusqu’à ce qu’en refermant le livre nous ayons l’impression de quitter des amis.
Dans son écriture, tout s’accorde comme une évidence: le ton, le rythme, la finesse des tournures. Même dans une biographie romancée comme celle-ci, jamais au grand jamais on ne ressent de longueurs, juste parfois le poids du temps qui passe, quand cela est nécessaire au récit.
C’est avec cette grande finesse de style qu’elle retrace dans ce roman biographique la vie de Mary Anning, cette anglaise issue de la classe ouvrière, dont les découvertes font faire faire un bond en avant à la paléontologie, la géologie et la biologie.
En découvrant successivement un squelette complet d’ichtyosaure puis de plésiosaure, Mary Anning va, sans le vouloir, apporter la preuve qu’il y a eu une évolution des espèces et que certaines d’entre elles auraient même disparu. Conception complètement nouvelle pour l’époque où, entre science et religion, l’on s’imagine que Dieu a créée la Terre, les hommes et les animaux directement tels qu’on les connait.
Les découvertes de Mary vont introduire l’idée même d’évolution et ainsi ébranler les convictions religieuses. C’est toute une conception du monde qui va alors vaciller, ouvrant la voie aux explications de la science moderne.
Le destin de Mary Anning va se trouver largement influencé par sa rencontre avec Elisabeth Philpot, paléontologue amateur et grande collectionneuse de fossiles. Si les connaissances des deux femmes dans leur domaine ne manquèrent pas d’impressionner les scientifiques de leur temps, elles eurent à se battre âprement pour gagner leur place dans cette communauté, et en particulier pour que le travail de Mary soit reconnu à sa juste valeur. En un temps où être une femme, une femme non mariée qui plus est, était en soi une position pénalisante, ces deux femmes de science ont su tracer leur chemin, en dépit de tout, et laisser leur nom dans l’histoire
C’est donc par le biais de leur amitié insolite que Tracy Chevalier a choisi de raconter le destin hors du commun de Mary. Un récit à deux voix qui trace le portrait de ces deux femmes exceptionnelles bravant classe et condition, avec une justesse et une finesse d’esprit que Jane Austen, elle-même, n’aurait pas renié.
Étrange écho, Tracy Chevalier fait d’ailleurs apparaître fugacement en toile de fond l’ombre de la romancière qui aurait séjourné temporairement à Lyme en 1804. Douce coïncidence qu’elle choisisse de mentionner le passage de celle à qui on est imparablement tenté de la comparer pour tout le talent de son écriture.
Même s’il s’agit d’une biographie romancée et que les faits ont été condensés, il faut pourtant saluer l’exactitude chronologique et historique du roman. Et l’on ne peut que conclure que Prodigieuses Créatures est un régal tant pour l’imagination du lecteur que pour sa culture.
8 réponses à “Prodigieuses créatures”
ma liste n’en finit pas de s’allonger… je vais arrêter de venir ici ^^
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J’ai beaucoup aimé ce roman de Tracy Chevalier même si ce n’est pas mon préféré 🙂
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Intéressant! L’histoire est pleine de femmes qui ont osé innover.
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Heureusement ! Et c’est un exemple intéressant puisque Mary Anning est allée de l’avant presque par la force des choses. C’est sa capacité à trouver des fossiles et son intérêt l’ont poussée à s’extirper de sa condition.
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Je ne rajoute rien, n’est-ce pas?
J’avais déjà dit que je les aimais tous ……^^ (j’avais commencé par celui-ci)
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je dois absolument le lire, je l’ajoute à ma WL 🙂
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[…] la plume de Tracy Chevalier ? Je pense vous l’avoir occasionnellement mentionné ici, là et peut-être ici […]
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[…] Chronique Collection Folio (n° 5267), Gallimard Parution : 06-06-2011 / Prix 8.70€ […]
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